MÉMORIAL PASSAGES, À WALTER BENJAMIN

Le Mémorial est une installation sculpturale profondément intégrée dans le paysage. L’extraordinaire sensibilité de Karavan lui permet de donner une vie propre aux espaces naturels et urbains où il travaille. Dans l’intervention de Karavan, les falaises de la Costa Brava et certains éléments archétypiques naturels méditerranéens tels que l’olivier, la pierre et le vent tissent une histoire sur le passé en tant que lieu d’exil et, en même temps, réalisent un exercice de mémoire contemporaine.

Le nom Passages, choisi par Dani Karavan, évoque aussi bien le passage frontalier et la mort de Benjamin à Port-Bou que l’œuvre littéraire et philosophique inachevée du Das Passagen-Werk [Livre des Passages]. Cette grande œuvre, que Benjamin avait commencé en 1927, est un recueil de textes du Paris du XIXe siècle et de ses passages vers l’expérience urbaine. Ce projet l’avait retenu à Paris et en Europe jusqu’à l’entrée des nazis dans la capitale française.

Dans la création de ce Mémorial, Karavan avait adopté une approche similaire à celle de Benjamin lui-même, en connectant les traces de la douleur passée, la mémoire et l’exil avec la possibilité d’un nouveau et meilleur futur. En fait, le Mémorial incorpore quelques-unes des idées les plus importantes sur la philosophie de l’histoire, la nécessité de l’expérience, le concept de frontières, le paysage comme aura et le rôle vital de la mémoire.

Le Mémorial fut inauguré le 15 mai 1994, en présence de nombreuses personnalités, parmi lesquelles Lissa Fittko, qui guidaient les fugitifs du nazisme, dont Benjamin, pour fuir la France nazie en traversant les Pyrénées. L’œuvre rend hommage d’une façon plus large à tous les êtres anonymes qui partent en exil à la recherche de la liberté.

Il comprend quatre éléments intégrés au paysage : 1. Le remous de l’eau, 2. Le mur de pierres, 3. L’olivier et 4. La clôture. C’est une expérience unique de descendre par ce tunnel aux parois d’acier terminé par une épaisse plaque de verre qui ferme le chemin incliné et ne permet pas aux visiteurs d’aller plus loin. Sur cette plaque de verre, une citation des thèses sur le concept d’histoire. (1940) : « Honorer la mémoire des anonymes est une tâche plus ardue qu’honorer celle des gens célèbres. L’idée de construction historique se consacre à cette mémoire ».

Vu d’en haut, le monument est parfaitement intégré dans son environnement physique : un paysage de granit rouillé, un terrain nu et aride de roches marrons et grises. L’œuvre, vue de l’intérieur, offre au visiteur une expérience unique : un itinéraire réalisé à partir de divers « passages ». Au lieu d’imposer un unique parcours, l’artiste a décidé de donner aux visiteurs la liberté absolue pour qu’ils passent et construisent leur propre expérience.

El 2014 l’Associació Passatges présente à la mairie de Portbou la proposition de déclarer le Mémorial comme BCIN. En 2018 le Gouvernement de la Generalitat catalane déclara le Mémorial Bien Culturel d’Intérêt National dans la catégorie des « lieux historiques », parce qu’il suppose une reconnaissance des hommes qui ont cru bon de lutter pour la démocratie et la liberté et il s’agit d’un endroit qui est devenu une étape et un cadre essentiels dans l’histoire des droits humains et de l’histoire catalane, européenne et universelle. En 2016 Dani Karavan a reçu le prix national de culture de la Generalitat pour ce Mémorial.

En 2020, la Fondation « Angelus Novus » a contribué à trouver le financement de 24 000 € pour restaurer le Mémorial de divers graffiti et en 2023, elle a reçu du Consulat de la République fédérale d’Allemagne l’aide de 5000 € pour changer le verre qui ferme le tunnel du Mémorial.

Dani Karavan (Tel Aviv, Israël, 1930-2021). Il est connu pour ses interventions d’art public environnemental au sein du paysage naturel ou urbain à caractère minimaliste. Par ses origines et sa tradition culturelle, il a été spécialement sensible aux propositions relatives à la mémoire et à l’exil. Dans son œuvre publique, il unit nature, paysage, art, mémoire, histoire et humanisme.

Karavan possède une grande capacité pour faire vivre les espaces naturels et urbains où il travaille et une exceptionnelle capacité à s’engager avec les éléments qui lui sont offerts. Son travail peut être compris comme une exploration continue du pouvoir du paysage et des possibilités de l’environnement. En utilisant des éléments du paysage lui-même, comme la lumière du soleil, le vent, la végétation, l’eau et le sable, il transforme la mémoire d’un lieu en une œuvre d’art et il crée des expériences inoubliables qui touchent à tous les sens.

Sa première sculpture environnementale à grande échelle, le Monument de Negev (Be’er Sheva, Israël, 1963-1968), supposa sa reconnaissance internationale. Ce qui eut pour résultat d’être invité à participer à la Biennale de Venise en 1976 et à la documenta 6 en 1977. Depuis, il a consacré sa vie à la création de sculptures environnementales dans des « lieux » à grande échelle conçues spécifiquement pour chaque endroit avec des visiteurs qui, de façon ponctuelle, peuvent y participer.

Au cours des 50 dernières années, Karavan a créé 70 lieux en Israël, Europe, Asie et Etats-Unis, parmi lesquels : Ma’alot (Cologne, Allemagne, 1979-1986), Way of Human Rights (Nuremberg, Allemagne, 1989-1993), Morou Art Forest (Nara Prefecture, Japon, 1998-2006), Sinti and Roma Memorial (Berlin, Allemagne, 2000-2012), Culture Square (Tel-Aviv, Israël, 2005-2013) et l’Axe Majeur, trois kilomètres d’un axe sculptural urbain à Cergy-Pontoise, au nord de Paris, auquel il travaille depuis 1980.

www.danikaravan.com